Par Jeremy Cook
Au XXIe siècle, nous avons en général tendance à voir dans l'automatisation et les robots des inventions de la deuxième moitié du XIXe siècle, développées au début des années 2000 et évoluant en permanence pour atteindre aujourd'hui la perfection (ou la dystopie, selon votre opinion). Or, la robotique moderne n'est que l'évolution d'une idée de serviteurs automatisés dont les racines plongent dans l'Antiquité.
Clepsydres et débuts de l'automatisation (vers 4 000 avant notre ère)
Les clepsydres figurent parmi les premiers instruments de mesure du temps et sont l'une des premières formes d'automatisation inventées par l'homme. Ces horloges à eau existaient probablement au Moyen-Orient et en Asie dès 4 000 avant notre ère. On en trouve également la description dans des textes gréco-romains. Ces horloges transfèrent en général du liquide d'un récipient dans un autre avec des marques étalonnées en fonction du temps, montrant ainsi le passage de la journée.
Leur apparition a ouvert la voie à d'autres automatisations qui utilisaient l'eau, souvent en exploitant la variation du poids des récipients qui la contenaient pour entraîner des mouvements. On notera en particulier une automatisation hydraulique du XIIe siècle dans ce qui est aujourd'hui la Turquie, la Fontaine au paon. De l'eau servant aux ablutions sortait du bec du paon, tandis que des serviteurs miniatures apparaissaient à tour de rôle pour proposer du savon, puis une serviette, le tout grâce à la force de l'eau.
Version moderne : prolifération des distributeurs de savon modernes
Depuis les événements de 2020, la société est devenue beaucoup plus sensible au lavage des mains, surtout sous forme automatique. Bien que les peuples de l'Antiquité n'aient pas disposé de capteurs PIR pour activer un robinet, un distributeur de savon ou un mécanisme de séchage, on peut difficilement s'empêcher de remarquer le parallèle entre la sophistication de la Fontaine au paon et l'automatisation que nous tenons souvent pour acquise dans les sanitaires publics.
On pourra soutenir que ces outils modernes ne constituent pas un grand progrès, du point de vue de l'automatisation, par rapport à l'ancienne fontaine au paon, mais peut-être cette technologie se contente-t-elle de rester au niveau demandé par la tâche en question. D'un autre côté, on pourrait aussi imaginer d'y intégrer des fonctionnalités IoT permettant d'informer l'équipe d'entretien lorsque les consommables sont épuisés ou qu'un problème mécanique se pose.
Mécanisme d'Anticythère (vers 150 avant notre ère)
Le mécanisme d'Anticythère a été découvert au large de l'île grecque d'Anticythère en 1901 et il est tellement évolué qu'il fut d'abord pris pour un faux. Bien que seule une partie de ce système ait été retrouvée, ses 30 engrenages en bronze servaient à prédire le mouvement de corps célestes sur une longue période et des répliques modernes ont été construites sous différentes formes.
Les Grecs de l'Antiquité, notamment l'inventeur et mathématicien de génie Archimède (dont la mort aux environs de 212 avant notre ère le place non loin des estimations les plus anciennes pour le mécanisme d'Anticythère) étaient fascinés par l'automatisation. Leurs légendes regorgent de curiosités mécaniques au point qu'il peut être difficile de distinguer les faits de la fiction. Par exemple, Talos, un gigantesque robot lanceur de rochers dans les veines duquel coulait du métal liquide, est certainement fictif. De même, la description par le poète Pindare, au Ve siècle avant notre ère, de Rhodes comme ayant possédé des silhouettes animées sur toutes les voies publiques est peut-être exagérée. Toutefois, l'existence du mécanisme d'Anticythère indique qu'il existait une part de vérité dans ces anciennes descriptions de robots, même si ce n'était pas littéralement à l'échelle décrite.
Version moderne : assistants virtuels, questions touchant à la chaîne logistique
L'automatisation au sens du traitement de données a progressé beaucoup plus vite que l'automatisation physique sous forme d'androïdes. On remarquera qu'Alexa/Google Home/Siri sont extrêmement répandus dans les foyers, alors que les aides aux tâches ménagères se limitent en général aux aspirateurs-robots occasionnels.
Si l'on considère ce qui serait nécessaire pour fabriquer effectivement le mécanisme d'Anticythère, il est clair qu'il ne suffirait pas d'un génie unique comme celui d'Archimède, ou même d'un petit groupe collaborant pour imaginer le mécanisme lui-même, mais qu'il faudrait tout un ensemble de techniques, d'outils et de fournitures matérielles développés au fil de siècles de raffinement. Notre technologie moderne dépend d'une vaste chaîne logistique pour fabriquer nos composants, depuis l'humble rouleau de papier toilette jusqu'aux ordinateurs les plus évolués. Comme nous venons de le voir ces dernières années, si cette chaîne est rompue ou perturbée, cette technologie devient rapidement hors de portée.
Presse de Gutenberg (1454)
Avant le milieu du XVe siècle, copier un livre ou même un pamphlet était une tâche qui demandait énormément de travail. Les livres en tant que tels étaient relativement rares et la portée des informations qu'ils contenaient était donc limitée. Tout cela fut bouleversé en 1454 lorsque Johannes Gutenberg donna un usage commercial à sa presse d'imprimerie à caractères mobiles. Cette nouvelle technique facilitait la capacité à transférer des informations sur de grandes distances physiques et même dans le temps, une révolution que nous avons du mal à apprécier aujourd'hui.
Dans le même temps, ce qui n'est peut-être pas une coïncidence, la Renaissance européenne se produisit dans les années 1400-1500, avec une explosion de savoir, de culture et d'ingénierie qui conduisit vers de nouveaux progrès techniques. Bien que la presse ne soit pas un ordinateur à proprement parler, on pourrait avancer que les mots imprimés sur chaque page pouvaient être programmés en déplaçant les caractères.
Version moderne : Internet mobile, Open Source
Tout comme la presse de Gutenberg fut un gigantesque bond en avant dans l'accès à l'information, nous n'avons plus aujourd'hui à nous rendre dans une bibliothèque ou une librairie pour la retirer sur des supports physiques. Il nous suffit de la récupérer sur n'importe quel appareil. On pourrait dire que cette ère de l'information à la demande a débuté avec l’Ethernet par modem et par câble, qui nous a rapidement permis de disposer de toutes ces données sur nos téléphones portables. Nous avons aujourd'hui, tout à fait littéralement, toutes les informations du monde au creux de notre main.
Dans le même temps, il s'est produit en ingénierie un déplacement philosophique vers la technologie open source, grâce à laquelle les données sont partagées avec les particuliers et les entreprises. Bien que cela ne soit pas approprié à toutes les situations, pouvoir découvrir un certain nombre de conceptions différentes produites par d'autres et les utiliser dans nos propres projets s'avère extrêmement utile. Parmi les réussites qui ont bénéficié de l'open source moderne, on peut citer des projets logiciels tels que Linux et KiCad et des matériels open source comme les cartes de développement Arduino et l'architecture RISC-V, qui ont contribué à diffuser l'ingénierie à un plus large public.
Miniaturisation des horloges mécaniques (du XIIIe au XXe siècle)
Les horloges mécaniques ont fait leur apparition au XIIIe siècle avec leur installation dans des tours en Italie avant leur propagation dans toute l'Europe. Après des siècles de progrès, vers le milieu du XXe siècle, la taille de ces horloges mécaniques est passée de celle d'une pièce entière à celle de montres suffisamment petites pour être portées au poignet.
Bien que des progrès aient encore été réalisés depuis, l'avènement des montres électroniques à la fin du XXe siècle a permis de remplacer les mécanismes d'horlogerie par des équivalents électroniques peu coûteux. On pourrait aussi argumenter que quoi que ce soit de plus petit qu'un objet facile à voir à bout de bras serait peu pratique.
Version moderne : miniaturisation de la puissance de traitement, appareils portables intelligents
Le parallèle évident ici est que les ordinateurs électroniques, qui remplissaient autrefois une pièce entière, ont été miniaturisés au point qu'ils peuvent tenir sur ou sous un bureau, et même désormais dans une poche sous forme de smartphone. Les montres intelligentes continuent de donner l'heure comme leurs ancêtres mécaniques, mais elles peuvent aussi contenir une puissance de calcul assez impressionnante. Des entreprises commencent même à étudier la possibilité créer des bagues intelligentes, bien que cette technologie n'en soit encore qu'à ses débuts.
Turc mécanique (1770)
Le Turc mécanique était un automate joueur d'échecs créé par Wolfgang von Kempelen à la fin du XVIIIe siècle. Présenté sous l'apparence d'un homme mécanique vêtu à l'ottomane, il était capable d'affronter intelligemment des joueurs humains et de gagner. Il pouvait même tenir une conversation à l'aide d'un tableau à lettres. L'appareil fut extrêmement célèbre en son temps et joua même aux échecs contre Benjamin Franklin et Napoléon Bonaparte.
C'était évidemment un trucage génial qui utilisait une série de contrôles d'horlogerie pour permettre à une personne cachée dans sa caisse de jouer aux échecs en manipulant les mouvements du Turc. Sachant qu'il jouait fort bien, la personne dissimulée à l'intérieur doit avoir été très douée et capable de rester dans un espace confiné pendant de longues heures.
Version moderne : Amazon Mechanical Turk, chirurgie robotique
Bien que des progrès soient réalisés chaque jour vers une véritable automatisation des tâches liées aux données, certaines de ces tâches nécessitent encore une interaction humaine. Dans de tels cas, il est possible d'utiliser une plateforme comme Amazon Mechanical Turk (MTurk) pour les confier à des humains en production participative sur Internet. Il ne faut pas beaucoup d'imagination pour voir ici la relation avec l'intelligence du joueur d'échecs turc d'origine qui provenait en fait d'un véritables être humain à travers une tringlerie mécanique.
La chirurgie robot-assistée est un autre équivalent moderne du Turc. On pourrait abréger cette notion en « chirurgie robotique », mais il est important de noter que le robot ne prend aucune décision, il n'est qu'une extension ultra précise de la main du chirurgien. Ces systèmes peuvent comprendre une technologie de filtration des tremblements, ce qui permet aux manipulations du chirurgien d'être plus précises et plus stables que jamais. On peut s'attendre à ce que cette technologie s'améliore à l'avenir, peut-être jusqu'au point où un chirurgien humain agira davantage comme un conseiller, dictant au robot la stratégie à suivre et laissant celui-ci exécuter les incisions et les mouvements chirurgicaux avec une extrême précision.
Découvrez comment Arrow peut vous aider à concevoir, valider et fournir la prochaine génération d'appareils médicaux et de solutions technologiques de santé.
Les innovations d'aujourd'hui sont des échos du passé
Le XIXe siècle a apporté une impressionnante série d'automatisations, dont le développement continu des machines-outils de précision, l'énergie produite par la vapeur et l'électricité. Il a ouvert la voie au XXe siècle, dans lequel l'automatisation pratique telle que nous la connaissons aujourd'hui s'est enracinée avant de se trouver décuplée par l'invention du transistor.
Dans notre millénaire actuel, on pourrait considérer que les smartphones fabriqués en masse sont le point culminant de notre technologie. Dans un avenir proche, nous verrons probablement l'apprentissage automatique continuer à progresser vers la maturité jusqu'à ce qu'une machine puisse « penser » d'une façon qui s'approche au plus près de celle des êtres humains, sans qu'il soit possible aujourd'hui de savoir quel en sera le résultat.
Tout comme les Grecs anciens avec leurs légendes sur l'automatisation, nous semblons toujours être inspirés par nos propres légendes (par exemple, la science-fiction). Il est difficile de ne pas remarquer la similarité entre les téléphones portables, les iPad et les écrans portables et le monde futuriste de Star Trek. À l'avenir, nous verrons peut-être des humanoïdes à notre service, des voitures volantes ou même des systèmes médicaux automatiques qui nous soigneront sans intervention humaine ou presque, tous ces concepts étant des éléments familiers de la science-fiction.
Si ces idées semblent quelque peu tirées par les cheveux, imaginez que vous disiez à quelqu'un en 1980 que vous avez accès en permanence à toute l'information du monde au creux de votre main pour environ 50 € par mois. Peut-être vivons-nous déjà dans le futur.